Pourquoi la voie verte prévue sur les boulevards de Limoges est-elle un gâchis ?

Un coût très important pour un aménagement dangereux et bientôt obsolète : la voie verte sur les boulevards, un projet sans vision.

À quoi va ressembler la voie verte sur les boulevards ?

Le projet prévoit d’aménager une voie verte large de seulement 3 m en moyenne sur le trottoir Ouest des boulevards, sur 2,1 km entre Vanteaux et le carrefour d’Oradour, à la place du trottoir muni de panneaux « piste cyclable » actuel.
Il est prévu d’installer une lisse en bois entre la chaussée et les arbres.

Qu’est-ce qu’une voie verte ?

La voie verte est une route exclusivement réservée à la circulation  des véhicules non motorisés à l’exception des engins de  déplacement personnel motorisés, des piétons et éventuellement des cavaliers.
Exemple de voie verte :

Une voie verte à la limite de la légalité et non recommandée par le Cerema

Recommandation du Cerema Projet sur les Boulevards
La voie verte doit être considérée comme une emprise indépendante en site propre et non comme une dépendance d’une voie existante : par exemple, un trottoir ne peut pas être considéré comme une voie verte image La voie verte des Boulevards serait clairement sur un trottoir, et non une route indépendante
Elle est à réserver aux cas où les densités d’usages cyclistes et/ou piétons envisagés sur l’axe à aménager sont modérées à faibles. Tous les aménagements cyclables actuellement réalisés vont conduire aux Boulevards, un nombre important de cyclistes y circulera nécessairement. Les piétons y sont parfois nombreux, notamment aux abords de l’école du Roussillon.
séparation physique avec le réseau routier Sera respecté en section courante, mais pas aux abords des intersections
faible nombre d’accès riverains La voie verte sera traversée de nombreuses entrées de parking de résidences, d’établissements scolaires et de commerces
nombre réduit de croisements avec le réseau routier 6 intersections en quelques centaines de mètres
confort de roulement, l’enrobé étant le revêtement à privilégier dans la plupart des cas. choix de stabilisé renforcé, moins confortable que l’enrobé (voir plus bas)

D’après les recommandations du Cerema, une voie verte n’est donc pas l’aménagement cyclable adapté au contexte urbain des boulevards.

Une voie verte qui sera rapidement obsolète

Le plan de déplacement urbain de Limoges Métropole prévoit un fort trafic piéton et cyclistes (modes actifs) sur les boulevards, avec des aménagements qualitatifs :

 

Une voie verte est-elle un aménagement qualitatif permettant d’absorber cet important trafic de modes actifs ?

Contrairement à une piste cyclable jouxtant un trottoir, une voie verte oblige les piétons à partager leur espace avec les cyclistes. Le Cerema reprend les recommandations allemandes concernant la largeur des voies vertes, pour que les piétons et les cyclistes puissent cohabiter en sécurité :

Trafic cumulé piétons + cyclistes (nombres de passages par jour) Largeur minimum de voie verte (en m)
1000 et moins 3 m
1 300 3,5 m
1 600 4,0 m

Quel trafic piéton et vélo est attendu sur les boulevards ? Il y a aujourd’hui 27 500 véhicules qui empruntent chaque jour cette section du boulevard. L’état a fixé l’objectif de part des déplacements effectués à vélo à 9% en 2024, ce qui équivaut à 2400 cyclistes chaque jour sur cet axe cyclable majeur. Les objectifs de Limoges Métropole sont moins ambitieux, à seulement 4% d’ici 2030. Il est même probable que les 4% soient atteints plus tôt, dû à l’engouement pour le vélo suite à la crise sanitaire. Cela correspond déjà à 1100 cyclistes par jour en 2023-2024, sans même compter les piétons ! Ce nombre ne cessera d’augmenter dans les prochaines années. Il est donc clair qu’avec ses 3 m de large, la voie verte sera très rapidement trop étroite, générant trop de conflits entre piétons et cyclistes pour être praticable. Or la durée de vie d’un aménagement de voirie est souvent de plusieurs dizaines d’années. La voie verte sera donc obsolète dès le début de sa durée de vie.

C’est un angle mort de la politique cyclable locale : il ne faut pas créer un aménagement en fonction des contraintes actuelles, mais de celles attendues à la fin de sa durée de vie.

Une voie verte qui ne va pas améliorer la sécurité des cyclistes

La trottoir en question est déjà considéré comme une piste cyclable, et les conflits piétons-vélos s’observent déjà tous les jours. Le projet consiste donc essentiellement à changer de panneaux, en élargissant de seulement 50 cm le trottoir actuel.
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À première vue, les lisses en bois installées entre la chaussée et les arbres vont renforcer la séparation physique entre les véhicules motorisés et les mobilités actives. Mais cette séparation était déjà bien assurée par les arbres. Le gain de sécurité de la lisse en bois ici est donc très faible.
En revanche, la plupart des intersections ne font l’objet d’aucun réaménagement, alors que ce sont les zones les plus dangereuses ! C’est notamment le cas du franchissement de la rue François Perrin, la plus passante. La voie verte s’y arrêtera purement et simplement quelques dizaines de mètres avant pour laisser place au trottoir actuel ! Pour respecter le code de la route, les cyclistes devront alors faire demi-tour, et emprunter la chaussée en faisant en long détour, au péril de leur vie !

De telles discontinuités cyclables, précisément aux points noirs, actées dès l’origine dans un projet de cette envergure, c’est tout bonnement sidérant !

Une voie verte au revêtement inadapté au contexte

Le choix de Limoges Métropole s’est porté sur un revêtement en sable stabilisé renforcé à la place de l’enrobé actuel, avec comme but de donner un côté « vert » à cet aménagement.
Or d’après le guide de Vélo et Territoires, le stabilisé renforcé est deux fois plus onéreux que l’enrobé, moins confortable pour les cyclistes, a une empreinte carbone supérieure, une durée de vie plus faible, et résiste moins aux intempéries.
Limoges Métropole défend le stabilisé renforcé pour lutter contre les ilots de chaleur, les stabilisés étant plus clairs que les enrobés. Mais cette voie verte sera déjà à l’ombre sous des arbres. Alternativement, il existe également des enrobés clairs. L’ilot de chaleur sera créé par les 6 voies de circulation en enrobé noir, pas par la voie verte !
Un autre argument est le respect de l’obligation légale de diminuer les surfaces artificialisées. Or les aménagements cyclables ne seront de toutes façons pas décomptés comme artificialisés, indépendamment de leur revêtement !

Véli-Vélo a présenté ces arguments à Limoges Métropole à plusieurs reprises lors des réunions de concertations, mais aucun changement de cap n’a été décidé.

Une voie verte qui engloutit deux ans de budget vélo

Le budget estimé pour cette voie verte est de 1 100 000 €. Le budget annuel dédié au schéma cyclable (SDIAC) de Limoges Métropole est de 500 000 €.
C’est donc plus de deux ans de budget engloutis dans un aménagement qui n’améliore pas la sécurité des cyclistes, qui crée des conflits avec les piétons et qui sera rapidement obsolète. Pendant ces deux années, ce sont des kilomètres de pistes cyclables sécurisés qui ne seront pas réalisés ailleurs, faute de budget, enfonçant toujours plus l’agglomération de Limoges dans son retard en matière de politique cyclable.

Une meilleure alternative pour la moitié du prix ?

Seules des pistes cyclables pourront accommoder le trafic cyclable des prochaines décennies. Sur cette section de boulevard, nous proposons de réaliser des pistes cyclables unidirectionnelles à la place des voies de circulation les plus à droite, en posant simplement un séparateur entre les voies :

Les arguments en faveur de telles pistes cyclables larges sont nombreux :

  • la sécurité des cyclistes serait grandement améliorée
  • les conflits entre les piétons et les cyclistes seraient supprimés
  • elles permettent d’inclure tous les cyclistes, quel que soit leur âge ou leur genre
  • elles pourraient être empruntées par les véhicules de secours, qui gagneraient de précieux instants. C’est d’autant plus vrai que ce tronçon est situé entre le CHU et la caserne des pompiers !
  • elles pourraient accueillir le trafic cyclable des prochaines décennies, sans devenir obsolètes
  • elles devront de toutes façons êtres réalisées dans quelques années, dès que la voie verte sera saturée.

D’après le guide du coût des politiques vélo, le budget pour ces séparateur serait de 630 000€, soit 43% moins cher que la voie verte !

Les intersections pourraient également être facilement sécurisées avec les mêmes séparateurs :

Transformer des voies de circulation en piste cyclable créerait-il des embouteillages ?
Toutes les études montrent que réduire la place de la voiture au profit du vélo réduit les embouteillages : une fois le report vers le vélo effectué pour une partie des automobilistes, moins de voies de circulations motorisées sont nécessaires pour déplacer autant de personnes, et la circulation est fluidifiée. La raison est simple : une voie circulation sature à partir de 1500 personnes par heure, quand une piste cyclable peut en écouler jusqu’à 12000.

En ce moment, des voies entières de ce même boulevard sont neutralisées pour travaux, et Limoges ne s’est pas arrêté de vivre pour autant. Les conditions de circulation ne pourraient que s’améliorer si ces travaux étaient transformés en piste cyclable.

Conclusion

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Ce projet de voie verte, c’est :

Un million d’euros pour le vélo pour pérenniser les conflits piétons-vélos.
Un million d’euros pour le vélo pour créer des impasses pour les cyclistes.
Un million d’euros pour le vélo pour rénover le revêtement d’un trottoir.
Un million d’euros pour le vélo pour continuer à détruire notre climat et notre santé avec une autoroute urbaine de 2×3 voies.

Malgré nos nombreuses alertes dès 2021, y compris dans la presse, sur les soucis soulevés par cette voie verte, Limoges Métropole n’a pas changé de cap, et prévoit de changer des panneaux de piste cyclable en panneaux voie verte à grands frais. Il est prévu que les travaux de la voie verte démarrent dans les prochains mois. Ce projet anachronique est un gâchis de temps et d’argent, qui a pour seul objectif de ne pas remettre en cause le tout-voiture, à l’heure où l’état investit des milliards pour le vélo et où de nombreuses autres villes comparables mènent des projets ambitieux en faveur des mobilités actives. Pour préparer l’avenir, l’agglomération de Limoges mérite mieux qu’une coûteuse opération de « greenwashing » !

Mais il n’est pas encore trop tard pour envisager un réel aménagement cyclable sur les boulevards ! La responsabilité de ce choix est entre les mains de nos élus.

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