Pourquoi la voie verte sur les boulevards de Limoges n’est pas le bon choix ?

Mise à jour : nous avons rencontré Limoges Métropole le 22/06/2023. Quelques erreurs présentes dans la première version de cet article ont été corrigées, et les nouveaux éléments apportés par Limoges Métropole ont été ajoutés.

Un coût très important pour un aménagement dangereux et bientôt obsolète : la voie verte sur les boulevards, un projet qui manque d’ambition.

À quoi va ressembler la voie verte sur les boulevards ?

Le projet prévoit d’aménager une voie verte large de 3 m à 3,5 m  sur le trottoir Ouest des boulevards, sur 2,1 km entre Vanteaux et le carrefour d’Oradour, à la place du trottoir muni de panneaux « piste cyclable » actuel.
Il est prévu d’installer une lisse en bois entre la chaussée et les arbres.

Qu’est-ce qu’une voie verte ?

La voie verte est une route exclusivement réservée à la circulation  des véhicules non motorisés à l’exception des engins de  déplacement personnel motorisés, des piétons et éventuellement des cavaliers.
Exemple de voie verte :

Une voie verte à la limite de la légalité et non recommandée par le Cerema

Recommandation du Cerema Projet sur les Boulevards
La voie verte doit être considérée comme une emprise indépendante en site propre et non comme une dépendance d’une voie existante : par exemple, un trottoir ne peut pas être considéré comme une voie verte image La voie verte des Boulevards serait clairement sur un trottoir, et non une route indépendante
Elle est à réserver aux cas où les densités d’usages cyclistes et/ou piétons envisagés sur l’axe à aménager sont modérées à faibles. Tous les aménagements cyclables actuellement réalisés vont conduire aux Boulevards, un nombre important de cyclistes y circulera nécessairement. Les piétons y sont parfois nombreux, notamment aux abords de l’école du Roussillon.
séparation physique avec le réseau routier Sera respecté, mais les intersections resteront dangereuses car la vitesse des véhicules motorisées pourra y être élevée
faible nombre d’accès riverains La voie verte sera traversée de nombreuses entrées de parking de résidences, d’établissements scolaires et de commerces
nombre réduit de croisements avec le réseau routier 6 intersections en quelques centaines de mètres
confort de roulement, l’enrobé étant le revêtement à privilégier dans la plupart des cas. choix de stabilisé renforcé, moins confortable que l’enrobé (voir plus bas)

D’après les recommandations du Cerema, une voie verte n’est donc pas l’aménagement cyclable adapté au contexte urbain des boulevards.

Une voie verte qui sera rapidement obsolète

Le plan de déplacement urbain de Limoges Métropole prévoit un fort trafic piéton et cyclistes (modes actifs) sur les boulevards, avec des aménagements qualitatifs :

 

Une voie verte est-elle un aménagement qualitatif permettant d’absorber cet important trafic de modes actifs ?

Contrairement à une piste cyclable jouxtant un trottoir, une voie verte oblige les piétons à partager leur espace avec les cyclistes. Le Cerema reprend les recommandations allemandes concernant la largeur des voies vertes, pour que les piétons et les cyclistes puissent cohabiter en sécurité :

Trafic cumulé piétons + cyclistes (nombres de passages par jour) Largeur minimum de voie verte (en m)
1000 et moins 3 m
1 300 3,5 m
1 600 4,0 m

Quel trafic piéton et vélo est attendu sur les boulevards ? Il y a aujourd’hui 27 500 véhicules qui empruntent chaque jour cette section du boulevard. L’état a fixé l’objectif de part des déplacements effectués à vélo à 9% en 2024, ce qui équivaut à 2400 cyclistes chaque jour sur cet axe cyclable majeur. Les objectifs de Limoges Métropole sont moins ambitieux, à seulement 4% d’ici 2030. Il est même probable que les 4% soient atteints plus tôt, dû à l’engouement pour le vélo suite à la crise sanitaire. Cela correspond déjà à 1100 cyclistes par jour en 2023-2024, sans même compter les piétons ! D’ailleurs, ce projet a été réalisé sans aucun comptage du nombre de piétons. Si ces estimations proportionnelles sont discutables, ce qui est certain est que ce nombre ne cessera d’augmenter dans les prochaines années. Il est donc clair qu’avec ses 3 m de large aux endroits où le nombre de piétons est le plus important, la voie verte sera très rapidement trop étroite, générant trop de conflits entre piétons et cyclistes pour être praticable. Or la durée de vie d’un aménagement de voirie est souvent de plusieurs dizaines d’années. La voie verte sera donc obsolète dès le début de sa durée de vie.

C’est un angle mort de la politique cyclable locale : il ne faut pas créer un aménagement en fonction des contraintes actuelles, mais de celles attendues à la fin de sa durée de vie.

Une voie verte qui ne va pas améliorer la sécurité des cyclistes

La trottoir en question est déjà considéré comme une piste cyclable, et les conflits piétons-vélos s’observent déjà tous les jours. Le projet consiste donc essentiellement à changer de panneaux, en élargissant d’environ 50 cm le trottoir actuel.
image

À première vue, les lisses en bois installées entre la chaussée et les arbres vont renforcer la séparation physique entre les véhicules motorisés et les mobilités actives. Mais cette séparation était déjà bien assurée par les arbres. Le gain de sécurité de la lisse en bois ici est donc très faible.
Nous critiquions l’absence de continuité cyclable à certaines intersections, et nous avons été entendus lors d’une nouvelle concertation mi-juin : l’intersection au niveau de la rue François Perrin sera plus lisible.
En revanche, la plupart des intersections ne font l’objet d’aucun aménagement pour ralentir le trafic motorisé. Les rayons de giration pourraient y être réduits pour qu’il ne soit pas possible d’emprunter l’intersection à plus de 30 km/h, et pour y assurer une bonne visibilité réciproque. Or la vitesse excessive est la première cause d’accidents, et les intersections sont les lieux les plus accidentogènes.

Une voie verte au revêtement inadapté au contexte

Le choix de Limoges Métropole s’est porté sur un revêtement en sable stabilisé renforcé à la place de l’enrobé actuel, avec comme but de donner un côté « vert » à cet aménagement.
Or d’après le guide de Vélo et Territoires, le stabilisé renforcé est deux fois plus onéreux que l’enrobé, moins confortable pour les cyclistes, a une empreinte carbone supérieure, une durée de vie plus faible, et résiste moins aux intempéries.
Limoges Métropole défend le stabilisé renforcé pour lutter contre les ilots de chaleur, les stabilisés étant plus clairs que les enrobés, ce qui est effectivement un avantage. Mais cette avantage est à balancer car cette voie verte sera déjà à l’ombre sous des arbres. Alternativement, il existe également des enrobés clairs. L’ilot de chaleur sera créé par les 6 voies de circulation en enrobé noir, pas par la voie verte !
Un autre argument est le respect de l’obligation légale de diminuer les surfaces artificialisées. Or les aménagements cyclables ne seront de toutes façons pas décomptés comme artificialisés, indépendamment de leur revêtement !

Véli-Vélo a présenté ces arguments à Limoges Métropole à plusieurs reprises lors des réunions de concertations, mais aucun changement de cap n’a été décidé.

Limoges Métropole précise en revanche que des précautions seront prises pour que les racines des arbres ne viennent pas (trop?) déformer le nouveau revêtement.

Un budget vélo pour refaire un trottoir

Le budget estimé pour cette voie verte est de 1 100 000 €. Le budget annuel dédié au schéma cyclable (SDIAC) de Limoges Métropole était de 500 000 €, et a récemment été augmenté à 2 000 000 €, ce que Véli-Vélo félicite.
Mais cette dépense est en réalité plutôt une réfection de ce trottoir. C’est une bonne chose à terme pour les piétons, mais en attendant ce sont des kilomètres de pistes cyclables sécurisées qui ne seront pas réalisés ailleurs, faute de budget, et qui ne permet pas à l’agglomération de Limoges de rattraper son retard en matière de politique cyclable.

Une meilleure alternative pour la moitié du prix ?

Seules des pistes cyclables pourront accommoder le trafic cyclable des prochaines décennies. Sur cette section de boulevard, nous proposons de réaliser des pistes cyclables unidirectionnelles à la place des voies de circulation les plus à droite, en posant simplement un séparateur entre les voies :

Les arguments en faveur de telles pistes cyclables larges sont nombreux :

  • la sécurité des cyclistes serait grandement améliorée
  • les conflits entre les piétons et les cyclistes seraient supprimés
  • elles permettent d’inclure tous les cyclistes, quel que soit leur âge ou leur genre
  • elles pourraient accueillir le trafic cyclable des prochaines décennies, sans devenir obsolètes
  • elles devront de toutes façons êtres réalisées dans quelques années, dès que la voie verte sera saturée.
  • elles pourraient être empruntées par les véhicules de secours, qui gagneraient de précieux instants. C’est d’autant plus vrai que ce tronçon est situé entre le CHU et la caserne des pompiers ! Cela serait réalisable avec une bordure franchissable en cas d’urgence :

D’après le guide du coût des politiques vélo, le budget pour ces séparateur serait de 630 000€, soit 43% moins cher que la voie verte !

Les intersections pourraient également être facilement sécurisées avec les mêmes séparateurs :

Impossible à cause du trafic, vraiment ?

La solution de pistes cyclables à la place de voies de circulation n’a pas été retenue par Limoges Métropole dès la genèse du projet, car des simulations de trafic ont montré qu’il pourrait y avoir ponctuellement quelques embouteillages. Ces mêmes simulations qui ont été réalisées sans comptage de piétons.
Nous pensons au contraire que ces études ont sous-estimé la possibilité de report modal vers le vélo, en menant un plan vélo plus ambitieux. Toutes les études dans de nombreuses autres villes montrent que réduire la place de la voiture au profit du vélo réduit les embouteillages à terme : une fois le report vers le vélo effectué pour une partie des automobilistes, moins de voies de circulations motorisées sont nécessaires pour déplacer autant de personnes, et la circulation est fluidifiée. La raison est simple : une voie circulation sature à partir de 1500 personnes par heure, quand une piste cyclable peut en écouler jusqu’à 12000.

En ce moment, des voies entières de ce même boulevard sont neutralisées pour travaux, et Limoges ne s’est pas arrêté de vivre pour autant. Les conditions de circulation ne pourraient que s’améliorer si ces travaux étaient transformés en piste cyclable.

Autres exemples : devant Beaublanc, il y a actuellement 32 000 véhicules par jour, avec seulement 2 voies dans chaque sens. Rappelons que sur le projet de voie verte, ce sont 27 500 véhicules qui se partagent 2×3 voies.  Mieux, avenue du Général Leclerc, devant l’atelier de Véli-Vélo, ce sont 28 000 véhicules par jour qui se partage une seule voie dans chaque sens. Et les quelques jours où cette section a été entièrement fermée à la circulation, Limoges ne s’est pas non plus arrêtée de vivre. Les automobilistes ont trouvé d’autres itinéraires, différé ou regroupé leurs déplacements, ou changé de mode de transports : c’est un phénomène appelé l’évaporation du trafic. La conservation de la troisième voie pour le trafic motorisé est-elle donc réellement nécessaire ?

Une voie verte dangereuse pour les piétons

On l’a vu, la largeur et le nombre de piétons et cyclistes attendus sur  voie verte créeront inévitablement des conflits entre les piétons et les vélos.

La section entre François Perrin et le carrefour d’Oradour présente également une pente permettant au vélos d’atteindre facilement les 40 km/h en roue libre. Avec une telle différence de vitesse entre piétons et vélos, la seule solution est de séparer ces flux, c’est-à-dire de réaliser un trottoir et des pistes cyclables séparées.

Ce qui est également regrettable, c’est que études de trafic à l’origine de ce choix d’aménagement ont été faites sans connaitre le nombre de piétons sur cet axe. Les conflits vélo-piétons n’ont donc pas été pris en compte dans le choix d’une voie verte. L’arbitrage politique entre la voie verte et les pistes cyclables a donc été de privilégier la facilité de circuler en voiture au détriment de la sécurité des piétons et des cyclistes.

Pour le futur, rien n’est promis

Limoges Métropole défend ce projet de voie verte comme une première étape, qui n’empêchera pas de réaliser de vraies pistes cyclables plus tard, lorsque le boulevard sera rénové. Mais aucune rénovation de ce boulevard n’est prévue à plus ou moins long terme. Et Limoges Métropole n’a pas non plus voulu promettre que de telles pistes seraient réalisées lors d’une future rénovation.

Conclusion

image

Ce projet de voie verte, c’est :

Un million d’euros pour le vélo pour pérenniser les conflits piétons-vélos.
Un million d’euros pour le vélo pour rénover le revêtement d’un trottoir au détriment de vraies pistes cyclables ailleurs.
Un million d’euros pour le vélo pour continuer à détruire notre climat et notre santé avec une autoroute urbaine de 2×3 voies.

Malgré nos nombreuses alertes dès 2021 sur les soucis soulevés par cette voie verte, y compris dans la presse et lors de cette nouvelle concertation de juin 2023, Limoges Métropole n’a pas changé de cap, et prévoit de changer des panneaux de piste cyclable en panneaux voie verte à grands frais. Il est prévu que les travaux de la voie verte démarrent dans les prochains mois. Ce projet a pour seul objectif de ne pas remettre en cause le tout-voiture, à l’heure où l’état investit des milliards pour le vélo et où de nombreuses autres villes comparables mènent des projets ambitieux en faveur des mobilités actives. Pour préparer l’avenir, l’agglomération de Limoges mérite mieux qu’une coûteuse opération de « greenwashing » !

Mais il n’est pas encore trop tard pour envisager un réel aménagement cyclable sur les boulevards ! La responsabilité de ce choix est entre les mains de nos élus.

9 réflexions sur « Pourquoi la voie verte sur les boulevards de Limoges n’est pas le bon choix ? »

    1. L’association rencontre dans les semaines à venir Mr Lagedamont (adjoint au maire en charge de la voirie) au sujet de l’aménagement des Boulevards. A l’issue de cette entrevue, l’association décidera ou non de porter le message à la presse locale.

        1. Malheureusement, ils ne souhaitent pas changer de cap sur ce projet, ce qui est décevant. Nous avons néanmoins pu proposer quelques petites améliorations supplémentaires. Pour en savoir plus, l’article sur le site a été mis à jour avec de nouveaux éléments.

  1. Bonjour,

    Dans votre article vous citez à plusieurs reprises les flux routiers de certains grands axes de Limoges mais je ne sais pas les trouver sur internet.

    Pourriez-vous m’indiquer comment obtenir ce type de statistique pour Limoges ?

    Merci Ewan 😉

  2. Analyse détaillée et pertinente.
    J’ajoute : on ne peut circuler face au flot de voitures, de nuit, par temps de pluie ; c’est dangereux, on a des potelets, des arrêts de bus et des piétons qui s’en battent les c……s (sur une voie verte les piétons sont prioritaires)
    je propose que chaque adhérent de vélivélo fasse chauffer le « tell my city » avec des remarques précises

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *